[…] La bête tenta de fuir, mais il n’y avait aucune échappatoire. Nous n’avions plus le choix. Il fallait l’achever, avant qu’elle n’embrase ce navire maudit […]
Tout à coup, une araignée géante s’abattit du plafond dans un craquement sinistre. Ses pattes griffues effleurèrent le bois vermoulu alors qu’elle fondait sur nous. Sans perdre un instant, j’achevai la première créature d’un dernier coup brutal, libérant mon esprit pour affronter cette nouvelle horreur.
Elle fut moins coriace que son prédécesseur. Trois coups précis de notre part suffirent pour qu’elle s’effondre, son corps convulsant avant de rendre son dernier souffle. Je pris un moment pour inspecter les lieux. Les instruments brisés, les cartes marines rongées par l’humidité… Tout indiquait que nous nous trouvions dans l’ancienne chambre du navigateur. Mais il n’y avait rien d’autre ici, rien qu’un silence pesant.
Kuro ouvrit la marche, sa silhouette sombre se découpant à la lueur de la lanterne de Shyv. D’un pas assuré, il descendit l’escalier grinçant, et nous le suivîmes.
Nous arrivâmes dans les profondeurs du navire. Une cale étroite et suffocante, aux murs de bois noirci et gonflé par l’humidité. Quelques portes fermées bordaient le passage, semblant renfermer des secrets oubliés. Le navire lui-même protestait, chaque vague le faisant craquer comme un animal blessé. Une odeur de sel, de moisissure et de pourriture s’accrochait à l’air.
Mais ce fut un bruit plus sinistre encore qui vint troubler cette atmosphère lugubre.
Un frémissement. Puis des silhouettes se dessinèrent dans l’obscurité. Des Giant Wolf Spiders — difformes, poilues, leurs crocs dégoulinant d’un venin fétide. Elles nous prirent en embuscade.
L’une d’elles se glissa derrière Kuro, rapide comme l’ombre, tandis qu’une autre surgit devant moi, ses multiples yeux brillant d’une malveillance instinctive.
Sans réfléchir, je dégainai une dague et la lançai à travers l’air vicié. À cet instant, une aura spectrale m’enveloppa, et dans une lueur bleutée, la silhouette d’un guerrier ancestral apparut, se superposant à moi. Lorsque ma dague fendit l’air, une traînée d’énergie spectrale s’étira dans son sillage, comme une flamme surnaturelle. Une ligne éthérée relia un instant la créature à l’aura qui émanait de moi.
Ce pouvoir… ancestral, inconnu même de mes frères et sœurs. Si Kuro ou Shyv avaient perçu cette manifestation, je n’aurais guère le choix que d’expliquer la source de se pouvoir.
L’arme atteignit sa cible avec une précision surnaturelle.
Sans perdre un instant, j’empoignai une seconde dague et la plantai directement dans l’épaule chitineuse de l’araignée face à moi. Un cri strident résonna alors qu’elle se cabrait, son sang noirâtre s’écoulant lentement.
Mais avant que je ne puisse réagir davantage, une autre dague siffla près de mon visage. Elle frôla mes cheveux, me glaçant d’effroi, avant de se ficher droit dans le corps de l’araignée. Un lancer parfait.
Je restai un instant figé, cherchant du regard celui ou celle qui en était l’auteur. Une seule possibilité m’effleura l’esprit, et pourtant, l’idée me terrifia.
Rhazien.
Je me tournai lentement vers lui, mes yeux cherchant des réponses. Sa main tremblait encore du lancer, et son regard, loin d’être assuré, semblait lui-même surpris par son geste. Rhazien, pourtant si peu habile aux armes de jet, venait d’exécuter un coup magistral. Était-ce un instinct de survie ou un potentiel caché jusqu’alors ?
Kuro acheva l’araignée derrière nous, et je mis fin aux souffrances de celle qui gisait devant moi.
Mais alors que nous pensions le danger passé, un bruit de grouillement sourd retentit.
Un essaim d’araignées s’extirpa des ombres, une masse grouillante et avide. Leur multitude rendait toute résistance vaine. Je le savais. Mais fuir n’était pas une option.
Je jetai mes dernières dagues, en abattant quelques-unes, mais elles continuaient d’avancer. Elles grimpaient sur moi, mordant, perforant ma chair de leurs crochets empoisonnés. Leurs corps visqueux s’agglutinaient autour de moi jusqu’à ce que mes forces m’abandonnent.
La douleur devint un lointain murmure.
Puis, le néant.
L’Entre-Monde
Lorsque j’ouvris les yeux, je n’étais plus sur le navire.
Un labyrinthe surnaturel m’entourait, infini et sinueux. Les murs étaient faits d’ombres mouvantes, et des visages déformés y prenaient forme, psalmodiant dans des langues anciennes. Certaines voix me semblaient familières, d’autres m’étaient totalement étrangères.
Mais parmi ce tumulte spectral, un message se détacha, limpide et glaçant.
“Zode vous cherche.”
Qui était Zode ? Pourquoi me cherchait-il ? Je n’avais pas le temps d’y réfléchir davantage. Une force m’enveloppa à nouveau, m’arrachant à cet abîme.
Retour à la Réalité
Mon souffle revint dans un râle. La douleur me rappela à la vie. Mon sang battait à mes tempes, et je sentais les plaies ouvertes sur mon corps. Mais j’étais vivant.
Devant moi, l’essaim se précipitait vers Shyv.
Je saisis mon épée, épuisé mais déterminé. D’un mouvement large, j’écrasai les créatures du plat de la lame, balayant ce qu’il restait de la nuée. Enfin, les dernières araignées s’effondrèrent, et le silence retomba.
Mes blessures me brûlaient, le poison s’insinuait toujours dans mes veines. Je serrai les dents.
— « Nous devrions retourner à L’Âme de l’Hiver. Il y a un médecin à bord. » Ma voix était rauque. « Si nous continuons dans cet état, nous ne survivrons pas à la prochaine rencontre. »
Les regards échangés entre mes frères et sœurs furent lourds de fatigue et de crainte. Mais tous acquiescèrent.
Je pris une dernière inspiration, mes pensées encore hantées par ce murmure spectral.